15.6.13

Correspondance d'artiste // Fondation Custodia



Marcello, sculpteur

Nous sommes le 8 avril 2009, date anniversaire de la naissance de "Marcello", sculpteur du XIXème siècle (1836-1879). "Marcello" est un nom d'emprunt, un nom d'homme alors qu'elle est née Adèle d'Affry, duchesse Castiglione Colonna. Femme du monde et sculpteur, une situation difficile qui rend la correspondance passionnante.
La lecture a lieu à l'Hôtel Turgot qui abrite la Fondation Custodia. La salle principale, élégante et calme, est un écrin de silence en plein Paris. Les longues fenêtres blanches donnent sur un jardin, et le ciel rougissant se diffuse paisiblement sur les ors fanés des lustres et des fauteuils, signes d'un autre temps...
Parmi les fonds de la Fondation Custodia, la correspondance entre "Marcello"et le Père Gratry, oratorien. C'est à l'occasion de la publication de leurs lettres, transcrites et annotées par le conservateur Christine Dotal, que la Fondation Custodia m'a proposée de les lire, sur l'impulsion et le regard de Floortje Damming - documentaliste à la bibliothèque de la Fondation.




Pour lire la correspondance :
Marcello, sculpteur, une intellectuelle dans l’ombre.
Ecrits d’artistes de la Collection Frits Lugt, vol. 1. Publication avec transcription complète et annotée des lettres, par Christine Dotal.

Liens :








J'ai donc choisi de montrer l'ambiguïté de Marcello, de mettre en avant ses doutes et ses contradictions. Je suis bouleversée par les négociations qu'elle doit faire avec elle-même : elle négocie sans cesse intérieurement pour faire coexister sa vie créative avec ses obligations mondaines. Est-elle libre ? Oui d'une certaine façon car elle choisit de préserver farouchement sa solitude. Vraiment libre ? Non, car Marcello est un nom d'emprunt qui lui permet de croquer à l'ombre des hommes les modèles de nus au cours des séances de dessin. La duchesse, non sans romantisme, se travestit. Mais plus qu'un geste romantique, c'est une nécessité. Je comprends qu'il est difficile d'être femme et sculpteur. Pas seulement à cause des moeurs d'un 19ème siècle pudibond. Les obstacles sont intérieures. Elle se choisit l'austère Père Gratry, prêtre et philosophe, comme directeur de conscience. Il me plaît de croire qu'elle s'invente là un obstacle. Terrible obstacle car Marcello est aussi une intellectuelle et cette correspondance est tentante, qui lui permet d'affirmer sa pensée. Elle est curieuse de tout et donne son avis avec brio sur le libéralisme naissant, les Etats-Unis, nouveau modèle politique, la guerre d'Espagne dont elle est témoin. Mais là encore on sent toute son ambivalence. On devine un penchant pour la liberté qu'elle souhaite accessible à tous les peuples et toutes les classes, mais née aristocrate et femme du monde, elle craint un abaissement général de la culture et de la pensée... 
Ce que j'essaie de montrer dans mon montage, c'est la tentation de se donner plus de liberté dans sa création, ses fréquentations, son mode de vie, mais tentation aussitôt relayée par le devoir de raison : rester fidèles à des principes religieux, moraux, ceux de son milieu et de sa condition féminine. Et puis il y a le temps, comment gérer son temps, et c'est une question toute actuelle qui me rend Marcello familière. Elle veut lire, se cultiver, apprendre, parfaire ses dessins, sculpter, exposer, prendre soin de ses amis, de sa famille, par où commencer, comment attaquer de front tous ces impératifs qui lui commandent de briller dans tous les domaines ? Ce sont des détails concrets de sa vie intérieure, qui la rendent très proche et vivante, les préoccupations d'une artiste, à peu près les miennes aujourd'hui. Marcello, une rencontre fructueuse pour un prochain spectacle, un prochain texte ? ...