En 2006 et 2007 la comédienne Faustine Tournan et moi-même nous intéressons à l'étonnant roman de Agota Kristof Le Grand Cahier. Son écriture puissante fonctionne très bien oralement. Nous lisons dans les bibliothèques Plaisance et Baudoyer ainsi qu'à la librairie En Marge. A chaque fois le roman pour ceux qui ne le connaisse pas, coupe le souffle. A quoi est-ce dû ?
Le sujet : pendant la seconde guerre mondiale une femme confie ses deux garçons, des jumeaux, à sa mère, car elle habite la campagne. Ainsi les croit-elle protégés. Mais la grand-mère se révèle odieuse, injuste, méchante. L'entourage - le curé, la servante, les militaires, sont libidineux, cruels. Ce qu'on lit, c'est le journal des deux garçons. Le récit minutieux de ces années de guerre passées avec leur grand-mère, dans un village occupé.
Sauf que... le style est incroyable. Les deux garçons expliquent leur choix stylistique au début de leur journal (le choix d'Agota Kristof en fait). Ils n'écrivent que ce qu'ils voient de façon très exacte, rien de plus, pas de commentaires, pas d'affects, pas de justifications, y compris à l'égard de leur propre cruauté. Au lecteur de juger des actes et d'analyser les relations entre les personnages. Par ce procédé stylistique l'adhésion du lecteur/auditeur est totale !
Pour souligner le procédé d'écriture, Faustine et moi choisissons de lire de façon neutre, parfois ensemble, parfois en alternance, variant les timbres et les rythmes d'un paragraphe à l'autre, en suivant la tonalité et la cadence de l'écriture comme une partition de musique... On adore lire cette histoire, et grâce à notre neutralité susciter le malaise ou le rire, laissant de la place à l'auditeur pour qu'il soit le plus actif possible.